Du fact checking au meaning checking

Après le ‘fact checking’ pour la politique, devra-t-on faire du ‘meaning checking’ pour la presse ?

800px-Il_faut_se_méfier_des_motsLe titre bilingue de ce billet semble radical. Pourtant la question peut se poser. Comment le journalisme a-t-il pu en arriver à de si grossières erreurs ?

Je ne parle pas des éternelles coquilles, mais de la façon de s’exprimer et d’utiliser les mots correctement. On rencontre parfois du n’importe quoi !

Des titres à la mitraille

Il y a d’une part le vocabulaire employé, lequel est souvent source de confusion ; il y a d’autre part l’orthographe, la syntaxe, la grammaire, parfois malmenés… 

Depuis quelques années, en effet, nous assistons à une recrudescence d’incohérences dans l’emploi des mots, à commencer par les titres et intertitres, dont la définition, par ailleurs, ne correspond pas toujours à la réalité de l’information relayée…

L’info en continu publiée sur Internet fait que, chaque heure, déferlent des centaines de titres que viennent habiller verbes ou adjectifs : mais la tournure des titres principaux regorge plus souvent de maladresse, d’incohérence, voire de syntaxe incorrecte, sans parler d’absence de sens…

sémantiqueComment, quand on se dit journaliste, ou même webrédacteur, peut-on se tromper à ce point sur la façon dont on écrit les choses ?

N’ont-ils aucune connaissance de la définition exacte des mots qu’ils utilisent ?

Réfléchissent-ils à la pertinence de leurs phrases, au sens exact de leurs formulations ?

Sont-ils à ce point involontairement aveugles face à leurs erreurs  ? 

Entre vitesse obligatoire, manque de concentration ou simplement de culture, un certain mépris vis-à-vis du lecteur en découle.

Bien sûr, vous allez me dire que c’est fait exprès afin d’attirer le chaland en l’induisant en erreur (ne soyons pas naïfs, sachant que l’enjeu du résultat économique dirige le traitement de l’information). Le but est d’être racoleur pour que le lecteur clique et entame l’article…

Utiliser un titre « hameçon » (incitatif) peut donc se comprendre compte tenu de la situation dans laquelle le SEO nous a conduits.

Néanmoins, si les titres peuvent parfois induire en erreur (ce que personnellement je ne cautionne pas), le pire est lorsque ces derniers sont réellement mal écrits avec des erreurs de français, allant même jusqu’à des erreurs de sens.

Non seulement ce n’est pas normal, non seulement c’est contre-productif (le lecteur s’en aperçoit et repart déçu voire énervé), mais c’est surtout contraire aux règles d’une langue qui devrait être maîtrisée qualitativement.

Cette pratique – qu’elle soit intentionnelle ou non (il y a souvent une réelle lacune culturelle à l’origine) – contribue à abaisser le niveau.

Des titres pleins de failles

carrerougeTitre normaux, factuels, racoleurs ou sensationnels, peu importe, les erreurs de sens sont légion ! La débilité semble gagner du terrain. Les informations en deviennent faussées.

C’est non seulement triste et décourageant, mais plus encore, c’est inquiétant car une mauvaise compréhension peut déboucher sur des réactions, voire des actes, à l’opposé de ce qui devrait se passer.

Différents cas de titres :

  1. sens correct, pas de fautes, informatif
  2. sens correct, des fautes, informatif
  3. sens correct, pas de fautes, info trompeuse
  4. sens correct, des fautes, info trompeuse
  5. non-sens, pas de fautes, informatif
  6. non-sens, des fautes, informatif
  7. non-sens, pas de fautes, info trompeuse
  8. non-sens, des fautes, info trompeuse

Deux exemples 

CAS 3 > Ouest-France :

Julie Gayet va produire un film à Rennes

D’abord, ce n’est pas elle directement, mais sa société Rouge International, gérée par une équipe. De plus, le siège de cette boîte de prod est à Paris. Donc ce n’est pas une production « à Rennes », ce qui ne veut rien dire, ni même une production rennaise.

C’est une production d’un film dont une grande partie a été tourné à Rennes par un réalisateur (qui n’est pas Julie Gayet).
Un titre plus juste aurait été : Julie Gayet va produire un film qui va se tourner à Rennes. Ou bien : Tournage en janvier à Rennes du film d’Audrey Estrougo produit par Rouge international, la société de Julie Gayet. (Bon d’accord, c’est trop long).

En fait, le lecteur se fiche de la source d’investissement (il ne connaît même pas le nom des boîtes de prod). Comme celle-ci appartient à un nom qui buzze, le « journaliste » va l’employer.

Mais quid de l’information exacte ? On a quelques détails, plus plausibles, dans l’article lui-même. Mais l’intitulé du titre était faux. Je ne parle pas ici de l’intérêt de l’info bien sûr – peu élevé sauf peut-être pour quelques Rennais ayant joué des figurants – mais du sens de la phrase, de sa tournure.
(PS : le film La Taularde est actuellement présenté dans des festivals et doit sortir en mars 2016.)

Cas 5 > Viuz :

Quelle mutation du contenu face à l’accélération du temps ?

L’accélération du temps n’est pas à l’ordre du jour… heureusement pour nos particules. Ce n’est pas le temps qui va plus vite, une journée fait toujours 24 h et 1 seconde reste 1 seconde…

Ce qui accélère est la vitesse de connexion et de communication que permettent les outils que l’on utilise ainsi que la multiplication des tâches que l’on effectue dans un temps donné, par rapport à avant, quand le temps s’écoulait à la même vitesse, mais que ces outils n’avaient pas encore envahi notre quotidien.

On a l’impression qu’il faut tout faire vite aujourd’hui, remplir son temps à tout prix. Ce n’est nullement une « accélération du temps » dont il s’agit puisque le temps n’a pas bougé : c’est une proportion d’humains qui a développé le syndrome de la course de fond qui ne s’arrête jamais. Ou plutôt, le syndrome de l’hyperactivité.

Alors que nous ne pouvons tout traiter à la fois, que nous ne pouvons pas lire et digérer l’infobésité, que le cerveau a des limites d’adaptation, et surtout, même si le mouvement périodique (de l’unité de temps) a pu varier dans l’histoire, la mesure actuelle de notre temps fait que celui-ci, par définition, n’est pas extensible.

C’est d’ailleurs un paradoxe puisque la technologie nous permettant de faire plus vite certaines tâches, on devrait avoir plus de temps à soi… Or, autour de moi, j’entends constamment « je n’ai pas l’temps !« . Mais ceci est un autre sujet.

Le titre de l’article paru sur Viuz écrit une notion fausse. Ce n’est pas une erreur d’orthographe (il y a les dictionnaires pour ça), mais bel et bien de sens.

Des titres courts mal interprétés 

Cette ambiguïté récurrente dans les titres de journaux a parfois une autre raison : en effet, un titre doit généralement être très court. Les mots supplémentaires qui pourraient expliquer davantage l’info, du moins éviter l’ambiguïté d’un propos dans un titre, ne sont pas utilisés, laissant la porte ouverte à une possible mauvaise interprétation.

Or, la compréhension d’un titre est déterminante dans le cadre de la transmission d’une information !

Mais parfois aussi, seule une virgule absente suffit à changer la signification d’une phrase… nonobstant le fait qu’un mot a souvent plusieurs définitions dans la langue française. Enfin, un mot mal placé dans le titre peut dire tout et son contraire. Un contresens est très vite arrivé !

Du checking des faits au checking du sens

Ainsi, pour montrer si le sens d’un titre est juste, devra-t-on faire du meaning checking pour les journalistes, comme on utilise le fact checking pour vérifier si les données avancées sont justes ?

meaningCertes, un titre doit être accrocheur, informatif, etc. Mais justement, il doit être aussi cohérent dans sa formulation !

Hélas, les exemples quotidiens font craindre que leurs auteurs, quel que soit leur profil, ne connaissent plus la définition des mots qu’ils emploient.

C’est grave docteur ? Oui ! Surtout pour des rédacteurs. 

Ce constat faire ressortir un net déclin de l’exigence, qui contribue à une déchéance intellectuelle chez des « professionnels » peu regardants sur la qualité de l’information, offrant parfois jusqu’à une forme bancale de la syntaxe ou de la grammaire, sans que cela ne choque plus personne.

La maîtrise de la langue et des mots est pourtant fondamentale dans une société ! (Au secours Jean-Claude Guillebaud.)

CONCLUSION

On le sait, les fautes de toute nature sont légion dans les articles journalistiques ou les contenus web, que ce soit dans les titres, dans les chapeaux ou dans le corps du texte, aussi bien en ligne que sur papier (ce qui est pire dans le second cas, car elles sont non corrigeables).

La raison de la vitesse et la non relecture sont souvent invoquées alors. Ce n’est pas une excuse, simplement un fait. 

Mais pour ce qui est du non-sens : s’agit-il d’inculture ? Le doute est permis.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas parce qu’un titre en ligne doit correspondre aux critères du SEO qu’il faut en arriver à mentir au lecteur et/ou à écrire n’importe quoi.

Un meaning checking pousserait peut-être les rédacteurs et journalistes à retrouver l’effort d’une réflexion sensée sur la justesse de leur article, en commençant, a minima, par leur titre. (Mais en aurait-il le temps ?)

Cet exercice pourrait aussi bien s’appliquer aux politiques qui – langue de bois ou pas –, outre le fait d’avancer des données erronées, font souvent des erreurs de syntaxe, de grammaire ET de sens. En plus de dire souvent n’importe quoi…

Envie de partager ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.